Dans la liste des personnages célèbres qui résidèrent dans le Parc, figure la môme Moineau. Sa vie est un conte de Perrault – pour adultes avertis – : née dans une roulotte, bouquetière sur les champs Elysées, le hasard de deux rencontres lui permit de devenir une grande chanteuse de music-hall et l’une des femmes les plus riches du monde.
Des années 30 et jusqu’en 1968, la môme Moineau habite une magnifique demeure du Parc située non loin de l’hippodrome, à l’angle de l’avenue Charlemagne et de l’avenue Destouches : la villa Carmen.
La villa Carmen
La propriété est fastueuse : plus de 455 m² habitable, sur sous-sol de 222 m², installée sur un terrain qui fait à l’époque 3 211 m² avec piscine. La villa Carmen s’élève sur deux niveaux : une maison d’habitation dotée d’un étage surmonté d’une terrasse avec balustrade. En rez-de chaussée, le hall d’entrée est naturellement majestueux, étant une vraie pièce d’accès sur les lumineuses réceptions, doté d’un escalier châtelain et d’une cheminée. On y trouve également un grand double salon avec bow-window (architecte anglais oblige !) et deux cheminées, une salle à manger avec d’autre bow-window, un salon pour le petit-déjeuner et un bureau. La plupart des pièces donnent sur l’immense terrasse couverte « à la grecque ». Enfin, se trouve sur ce même niveau une vaste cuisine dînatoire avec entrée et escalier de service. L’étage se répartit autour d’un palier de grande dimension en forme de « cage » : six chambres – dont la chambre de maître avec cheminée et grande salle de bain, quatre autres chambres et salles de bain complémentaires, deux vestiaires, un escalier de service et un grenier. Les hauteurs sous-plafond apportent de l’aisance et la luminosité est omniprésente grâce aux nombreuses baies vitrées et fenêtres, bénéficiant de toutes les expositions.
C’est en 1948 que cette propriété dite « Villa Carmen » devient celle de Madame Lucienne Benitez-Rexach (15 janvier 1908 – 18 janvier 1968), née Dhotelle, plus connue sous le nom de la môme Moineau. L’acte est reçu par Maître Praquin, notaire à Sartrouville, le 20 janvier 1948. Elle y restera jusqu’à son décès, en 1968. Son mari, Félix Benitez-Rexach (27 mars 1886 – 2 novembre 1975), homme d’affaires portoricain et légataire universel de son épouse, détient l’entière propriété de son épouse jusqu’en 1971, lorsqu’il la revend aux époux Yaich.
Installation de la môme Moineau dans le Parc
L’achat de la villa Carmen concrétise un rêve d’enfance : alors qu’elle allait de ville en ville dans la roulotte de sa mère, elle garda un souvenir très fort de son court séjour à Maisons-Laffitte. Aussi, charge-t-elle son ami d’enfance, devenu son secrétaire particulier, Marcel Lecoq (enfant de Maisons-Laffitte), de procéder à la recherche d’une villa dans le Parc. Son choix se porte sur cette ancienne demeure du marquis de Llano. Avant de pouvoir acquérir la propriété en 1948, elle en est locataire pendant 8 ans.
Le luxe ne semble pas connaître de limite : elle se fait installer une baignoire moulée à même le corps, tout comme la lunette de ces cabinets de toilettes. Toutes les robinetteries, les poignées de portes et serrures sont couvertes de triple couche d’or fin, les sols et escaliers sont en marbre de Carrare et les lustres en cristal de Baccarat.
Plusieurs mois par an, lorsqu’elle quitte son mari pour rejoindre le Parc, la villa devient un lieu de fêtes joyeuses et toujours très arrosées ! C’était l’occasion de réunir ses amis du spectacle : Jean Cocteau, Mistinguett, Jean Gabin, Georges Simenon, Sacha Guitry, Jean Renoir, Pierre Brasseur ou encore Luis Mariano. Certaines fêtes ne se limitent pas à une abondante consommation d’alcool, mais sont également l’occasion de consommer l’opium, très en vogue à l’époque. Cette vie débridée, extravagante et animée fait enrager ses voisins, excédés par le bruit ! Le tapage nocturne prit de telles proportions que les gardes du Parc durent se rendre à de nombreuses reprises sur place pour faire respecter l’ordre, en vain. Le maire de Maisons-Laffitte à l’époque, monsieur Charles de Baudre, accompagné du Président de l’ASP, Monsieur Raymond Wagrez, se rendirent même sur place à plusieurs reprises … mais rien n’y fit ! En guise de réponse, la môme Moineau se déguisa en révolutionnaire latino-américain, tira des coups de feu sur les toits et organisa en plein nuit des concours de tambour avec ses amis ! Ce comportement a d’ailleurs causé une brouille avec ses voisins immédiats, les Gould.
Passionnée par le spiritisme et les sciences occultes, auxquels elle s’était initiés à Saint-Domingue sous l’influence de son mari et du dictateur Trujillo, elle consacre une pièce entière de la villa Carmen à sa pratique. Elle s’adonne alors à des rites vaudous, des activités de magie-blanche et des séances de spiritisme avec ses amis parisiens.
Installée dans le Parc, elle développe une passion pour les chevaux, et plus particulièrement les chevaux de course. Elle en achète deux, des pur-sang arabes de la meilleure lignée, l’un deux fut acheté à l’Aga Khan !
L’affaire des bijoux
Survenue en 1947, cette affaire fit grand bruit ! La demeure de la môme Moineau ayant été cambriolée, pillée et occupée pendant la seconde Guerre Mondiale, elle est obligée de séjourner à l’hôtel de la Vieille Fontaine le temps des travaux d’aménagement et de remise en état. Un soir, alors qu’elle se rend avec sa sœur et son beau-fils au restaurant « La Roseraie » de Maisons-Laffitte, la chambre n°8 qu’elle occupait est cambriolée. C’est en rentrant de son diner, vers 2h du matin qu’elle découvre avec le plus grand effroi que ses bijoux ont disparu ainsi que de l’argent. Contenus dans une valise en crocodile rouge dont le cadenas avait été forcée, c’est plus de 85 millions de francs (soit près de 22,5 millions d’euros actuels) de bijoux et d’argent qui ont été volés !
La nouvelle du cambriolage défraye la chronique : « Le vol du siècle », « la môme Moineau perd 85 millions mais garde le sourire » … L’affaire prend des proportions d’autant plus importantes que le gouvernement français craint des répercussions diplomatiques : la môme Moineau fait partie du corps diplomatique en tant qu’attachée culturelle de la République Dominicaine, son mari est un proche du dictateur Trujillo, lui-même un proche du Président américain Truman.
Le surlendemain du vol tient une véritable conférence de presse à la dans l’hôtel-restaurant la Vieille Fontaine, dans la grande salle. Tous les journaux à grand tirage sont présents et le champagne est offert. L’affaire est confiée à la section judiciaire d’Argenteuil, vivement critiquée pour sa lenteur. Finalement, trois individus sont arrêtés : Edouard Voss et Raymond Marcelle, tous deux escrocs au lourd passé judiciaire, ainsi qu’une femme, Marie Cattin, qui s’est chargée du recel. Le procès se tiendra à Versailles, le 26 mars 1952. La môme Moineau viendra témoigner, les deux hommes condamnés à 3 ans de prison, la femme à 10 mois avec sursis. En outre, le juge les condamne solidairement à restituer 80 millions de francs, décision purement formelle puisque la somme ne fut bien sûr jamais remboursée.
En 2006, Michel Ferraci-Porri révèle, dans son livre La Môme Moineau : la vie fabuleuse et tragique de la femme la plus riche du monde, que l’affaire n’est en fait qu’une énorme escroquerie à l’assurance dont l’instigatrice n’est autre que la victime elle-même ! Lors d’une escapade dans un bar parisien de Pigalle, la môme fait la connaissance de Raymond Marcelle et élabore le plan : les bijoux ayant été répertoriés et assurés par son mari, il n’aurait qu’à venir cambrioler sa chambre où elle cacherait pour 30 millions d’argent et de bijoux. De son côté, elle déclarerait 85 millions de perte à l’assurance. Elle convient même avec l’escroc que s’il était arrêté par la police pour le vol, il devait justifier la différence entre le montant des bijoux déclarés et le montant des bijoux retrouvés en expliquant qu’une partie avait été perdue le jour même du cambriolage. Ce qu’il fit, mot pour mot, lors de son arrestation. Aussi la môme Moineau fut elle remboursée intégralement, soit 85 millions d’euros, et garda ce lourd secret pour elle, jusqu’à sa mort, ou presque puisqu’elle l’avoua à sa sœur, peu de temps avant de décéder