Il y a quelques semaines, nous vous racontions l’histoire de la salle Malesherbes. Avant d’être la salle de spectacles et de divertissements que nous connaissons tous aujourd’hui, il s’agissait d’une propriété individuelle du nom du Val Fleury Cette propriété fut occupée, pour une courte mais intense durée, par Max Philippe Lebaudy.
Max Lebaudy, le petit sucrier au destin hors du commun
Né le 19 janvier 1873 à Paris, Max Philippe Lebaudy est le plus jeune enfant de Jules et Amicie Lebaudy. Héritier de l’une des plus riches familles de France, il grandit dans le luxe et la mondanité boulevard Haussmann.
La famille Lebaudy a fait fortune dans la raffinerie du sucre et les placements boursiers. Riche et estimé dans la bonne société de l’époque, c’est le grand-père de Max qui établit la majeure partie de la fortune en investissant dans une usine à La Villette mais également dans le capital de le Caisse Générale du Commerce et de l’Industrie (CGCI), devenant ainsi l’associé de Jacques Laffitte, puis dans la Compagnie des Antilles.
Ainsi se tissent les premiers liens entre la famille Lebaudy et le Parc de Maisons-Laffitte, où ils acquièrent le domaine du Val Fleuri, permettant ainsi à Max de s’adonner à une de ses passions : l’équitation. Le Val Fleuri, ancienne propriété de Charles Laffitte, est bordé par les avenues Cuvier, Albine et Malesherbes.
A la mort de son père en 1892, Max Lebaudy n’a que 19 ans. Il hérite du Val Fleuri et d’une partie notable de la fortune paternelle, et ne tarde pas à mener une vie aussi luxueuse que festive. Son goût pour la fête et le sport s’accentue et se forme autour de lui une véritable cour, menée par sa courtisane Liane de Pougy. C’est à cette époque que le surnom de “petit sucrier” lui ait donné.
Sa mère, qui considère comme une dérive la vie que mène son fils, le somme de mettre en ordre son existence. Max étant encore mineur (la majorité ne sera abaissé à 18 ans qu’en 1974), elle entend lui faire nommer un conseil judiciaire afin de mieux contrôler ses dépenses. Max, qui ne l’entend pas ainsi, fait alors appel à un avocat bien connu : Pierre Waldeck-Rousseau (qui deviendra Président du Conseil quelques années plus tard). Le procès est retentissant : un litige familial, des personnages riches et célèbres et un débat sur les valeurs morales ! Max gagne le procès et peut gérer seul 27 millions de francs-or, somme considérable pour l’époque.
Le Val Fleuri, lieu de fêtes permanentes
Vous pensiez les célébrations de la môme Moineau sans commune mesure… quelques décennies plus tôt, Max Lebaudy alimente déjà la chronique mondaine de la belle époque !
Il fait organiser nombre de fêtes et évènements sportifs par son secrétaire particulier, Lionel de Cesti, qui sera d’ailleurs condamné pour escroquerie quelques années après le décès de Max. Le petit monde de fêtards et de profiteurs suit alors Max, entre Paris et le Parc de Maisons-Laffitte, avides de sensations et cherchant surtout tromper l’ennui !
Mené par Liane de Pougy, sa courtisane, un cortège d’artistes et de mondains fait connaissance avec les charmes de la villa du Val Fleuri et du Parc : la belle Otero, Cléo de Mérode ou encore Emilienne d’Alençon rejoignent parfois la fête.
Jean Cocteau, qui habite lui aussi le Parc, relatera cet excentrique personnage dans ses souvenirs « Max Lebaudy, le petit sucrier, lavait ses calèches au champagne et organisait des corridas » (Jean Cocteau, par Mireille Pastoureau, Dominique Marny, Pierre Caizergue, Serge Linares et Raphaël Dupouy).
Les corridas du Parc de Maisons-Laffitte
Les plus mémorables de ces fêtes sont données en 1894, année où Max se prend de passion pour la corrida. Il entend alors en organiser plusieurs sur son domaine et fait ainsi construire une arène pour l’occasion. Le tout-Paris et les notables locaux sont invités à assister à ces corridas, orchestrées dans les moindres détails, jusqu’au programme qui était rédigé en espagnol !
Max Lebaudy, qui préside les corridas du haut de la tribune d’honneur, arbore une tenue de circonstance : celle du toréador avec son sombrero gris, une veste-boléro noire, un pantalon-collant et une cravate de satin rouge. Au pied de la tribune, sous une tente, un orchestre joue, toute la nuit durant, des airs espagnols. C’est ainsi que quatre à six toréadors mettent à mort deux à quatre taureaux provenant d’Espagne, dans des conditions qualifiées d’effroyables par certains spectateurs.
La presse s’en mêle. L’Est Républicain publie ainsi un compte-rendu de l’une de ces corridas dans son édition du 20 septembre 1894 : A Maisons-Laffitte a eu lieu aujourd’hui la course de taureaux donnée par M. Max Lebaudy. La réunion était privée ; l’entrée n’était accordée que sur carte d’invitation personnelle. La municipalité n’avait pris aucune mesure ; le maire et le président du Parc assistait à la course. Deux taureaux sur quatre ont été tués. Il n’y a eu aucun accident de personne. Le cheval était à l’abri des cornes des taureaux par une forte cuirasse. L’assistance était nombreuse et élégante. »
La polémique enfle : la société protectrice des animaux s’insurge ! La presse engagée s’élève alors avec virulence contre Max et ses mises à mort de taureaux : « Prenez garde, de voir un jour dans une autre arène, la capa flotter pour de vrai contre vous et la multitude féroce crier muerte. Je ne le souhaite pas… mais toute fête à sa fin. » (La Libre Parole, Séverine)
Max Lebaudy rédige alors une réponse qui ne manque pas d’humour, publiée dans le Figaro : « Madame, vous avez publié, cette semaine, deux articles qui ont du émouvoir vos lecteurs. Dans l’un, vous réclamiez un secours urgent pour une malheureuse famille d’ouvriers ; dans l’autre, vous demandiez la mise à mort d’un de vos concitoyens moins fortuné, M. Max Lebaudy, parait-il. Laissez-moi m’associer bien vite à votre premier article avant que le second ait produit tout son effet, et veuillez recevoir pour la famille d’ouvriers à laquelle vous vous intéressez 500 francs que je mets sous cette enveloppe avec tous mes remerciements. Max Lebaudy ».
La tension ne diminue pas pour autant et leurs échanges médiatiques perdurent, à tel point qu’ils seront relatés par le New-York Times dans son édition du 1er octobre 1894 !
L’histoire des corridas dans le Parc ne s’arrêtera pas là. En 1959 et 1962, des spectacles de corrida ont lieu à quelques centaines de mètres de l’ancien Val Fleuri. Les Caves du Nord accueillent des corridas, dans un autre contexte toutefois puisqu’aucune mise à mort n’est prévue. Le temps des polémiques est révolu…